Quand l’Évêque de Rome rencontre le Chanoine du Latran »
Source image : la vie.fr
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Le tête à tête, qui a duré près d’une heure, a donné lieu à de nombreuses accolades. Mais derrière les symboles, la politique était aussi omniprésente.


Lors des rencontres entre les chefs d’État et le pape, tout se joue dans les petits détails. Il faut savoir décrypter un froncement de sourcils, un sourire crispé, une petite tape sur l’épaule. Les catholiques se souviennent encore des visages graves – certains disent fermés – de François, le pape, et de François Hollande dans un contexte marqué pour l’Église par les tensions liés au vote de la loi sur le mariage pour tous. À l’issue de leur rencontre du 26 juin, dans le bureau-bibliothèque pontifical, Emmanuel Macron et le pape François ont offert à leur entrevue un final presque cinématographique, se livrant à une franche et fraternelle.



Certes, les deux hommes sont plutôt d’un naturel tactile. Mais la façon dont ils ont exprimé leur affection l’un envers l’autre demeure assez exceptionnelle. C’est le signe d’une entente toute particulière, d’une certaine familiarité, qui n’a pas manqué de susciter l’émotion des journalistes suivant l’événement. « Happy end » ? Plutôt le signal d’une harmonie retrouvée dans la relation entre la France et le Saint-Siège. Autre indication favorable, la durée de l’échange entre le pape et le président : 57 minutes, soit davantage qu’avec le président Barack Obama en 2014, qui était resté 52 minutes en compagnie de François, et nettement plus que le président Donald Trump (29 minutes en 2017) ou François Hollande (35 minutes en 2014). Selon un habitué du Vatican, qui chronométrait avec précision la durée de l’entretien, dans l’antichambre qui jouxte le bureau-bibliothèque, c’est un joli record. François Mitterrand était, en 1982, resté une heure trente, mais c’était avec Jean Paul II.



Des cadeaux très symboliques


Si la gestuelle était éloquente, les cadeaux ne l’étaient pas moins. Emmanuel Macron a remis au pape une édition ancienne, de 1949, en italien du Journal d’un curé de campagne de Georges Bernanos, qui relate la vie humble d’un prêtre, à l’image du pasteur qu’était Jorge Mario Bergoglio à l’époque où il officiait dans les quartiers populaires de Buenos Aires. Pour lui remettre ce présent, le chef de l’État a pris son temps. Le sourire toujours aux lèvres, il a longuement feuilleté le livre, puis a touché le bras de l’évêque de Rome, semblant manifestement savourer ce moment. Ce cadeau a été choisi à dessein, le pape ayant confié à plusieurs reprises son attachement à l’auteur français. Dans son livre d’entretiens avec le sociologue Dominique Wolton, François livrait même les raisons de cette affinité littéraire avec ce « Français remarquable » : « Bernanos a compris le peuple, il a compris cette catégorie mythique ».



Le pape a, quant à lui, remis au Président ses textes Evangelii Gaudium, sur la joie de l’évangélisation, Laudato Si’, sur l’écologie, Amoris Lætitia, sur l’amour dans la famille, Gautete et Exsultate, sur la sainteté dans le monde actuel, ainsi que le Message pour la paix du premier janvier, signé de sa main. À ces cadeaux traditionnels s’est ajoutée une médaille de saint Martin en bronze, représentant le saint évangélisateur de l’Europe divisant son manteau pour l’offrir à un pauvre. « C'est une médaille faite par un artiste romain du siècle dernier. Ritrae San Martino. Il voulait souligner la vocation des dirigeants à aider les pauvres. Nous sommes tous pauvres », a déclaré le pape devant le médaillon, posé dans une boîte blanche. Puis devant son hôte, il semblait mimer le geste de saint Martin enroulant le pauvre de son manteau. 



Postée à ses côtés, en robe noire stricte, comme le veut le protocole, mais sans mantille sur le visage, Brigitte Macron a répété le mot « vocation » en italien. Puis les deux hommes se sont serrés une nouvelle fois la main. Comme ils l’ont fait à bien d’autres reprises. La note du Vatican accompagnant l’objet soulignait le message qu’a voulu adresser le pape au Président français : « Le geste de saint Martin est l’icône de cet engagement. En lui, les éléments de force, comme son armure, sa puissante monture et son épée, se transforment en instruments de solidarité, d’altruisme, de participation, fondement de la culture de la paix. » En offrant un tel objet, le pape a donc envoyé un message insistant au Président français, dont il critique volontiers les penchants libéraux. Puis, alors qu’Emmanuel Macron quittait la salle, le pape l’a longuement suivi du regard. Comme s’il l’envoyait en mission, ont ressenti plusieurs spectateurs de la scène.



Une conversation libre et intense

Mais au-delà des images intenses et des symboles, quel était le son ? Que se sont-ils dit ? À l’heure où nous bouclons ces lignes, le contenu reste parcellaire. « La conversation était très libre et très intense », indique l’Élysée. Selon le communiqué produit par le Vatican, l’accent a été mis sur la contribution de la religion dans la promotion du bien commun. Les deux hommes ont aussi parlé des questions migratoires, d’environnement, de désarmement, de multilatéralisme comme voie de prévention et de résolution des conflits. Ils ont aussi fait un tour d’horizon des différentes zones de tension, en particulier au Proche-Orient et en Afrique. La conversation a aussi donné lieu à un échange de points de vue sur l’avenir du projet européen. Ces thèmes ont été plus longuement développés lors de l’entretien suivant avec le cardinal Pietro Parolin. Comme dans les festivals, ce déplacement d’Emmanuel Macron au Vatican avait son « in » et son « off ».



Si la rencontre avec le pape François a capté toute la lumière des flashs, sa conversation avec le numéro deux du Vatican, l’équivalent d’un Premier ministre, le cardinal Secrétaire d’État Pietro Parolin, s’est avérée tout aussi importante. « Le pape donne les orientations. Puis le cardinal Parolin met en musique », explique Jean-Dominique Durand, ancien conseiller culturel à l’ambassadeur de France au Saint-Siège, présent aussi dans la délégation. C’est au cours de cet autre tête à tête, en français, que le détail des dossiers politiques devait se jouer. Un enjeu capital pour l’Élysée, qui souhaite unir les efforts des réseaux diplomatiques français et du Vatican, qui reste de fait très influent sur certains points chauds du globe. 



Lors de cette entrevue qui a duré quarante-cinq minutes, ont été mis a priori sur la table, détaille-t-on toujours à l’Élysée : « les nombreux dossiers internationaux sur lesquels la France et le Saint-Siège font preuve d’un même engagement : situation des minorités religieuses, Syrie, Liban, Sahel, République démocratique du Congo, République centre-africaine, péninsule coréenne, Nicaragua, Vénézuela ». Le cadeau remis à Parolin n’était pas non plus dénué de signification. Il s’agit du livre Inigo, portrait de l’avocat catholique François Sureau, dont le nom circule au titre de futur ambassadeur de France au Saint-Siège en remplacement de Philippe Zeller.



« La France a un rôle à jouer »

Puis s’est ensuivi un déjeuner avec les cardinaux français en présence de Parolin. À la table présidentielle, les questions migratoires se sont invitées au menu. Comme le matin avec l’association de laïcs Sant’Egidio, proche du Vatican et très engagée sur les questions migratoires. Cet entretien, qui a eu lieu au Palais Farnèse, l’ambassade de France à Rome, le Président y tenait particulièrement. Alors que l’Europe continue de se fracturer sur le dossier migratoire, que le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, s’est laissé aller à une nouvelle provocation : « Aujourd'hui, il y a la visite à Rome du gentilhomme Macron, qui pourra certainement accueillir tous ceux qui se sauvent. Il est bon, il n'est pas comme nous », le chef de l’État, ses conseillers et Sant’Egidio ont échangé sur des nouvelles façons d’aborder ce thème ultra-sensible. 




Les couloirs humanitaires, objet d’un protocole d’accord avec le gouvernement français depuis 2017, ont été mis en avant, mais aussi les moyens pour permettre aux jeunes de rester en Afrique, notamment par le biais de l’éducation. « Les politiques doivent faire preuve d’une plus grand imagination pour l’Afrique, insiste Mario Giro, membre de l’équipe de Sant’Egidio et ancien vice-ministre italien des Affaires étrangères. Le Président semblait sensible à l’idée de changer de paradigme. Et par son histoire, la France a un rôle à jouer : elle sait que l’universel et les intérêts nationaux peuvent se conjuguer. »



C’est ensuite l’histoire particulière de la France avec le Saint-Siège à laquelle Emmanuel Macron a rendu honneur en acceptant le titre de premier chanoine d’honneur du Latran. Dernière étape de sa journée, donc, la cérémonie religieuse en la basilique majeure – exercice périlleux s’il en est, tant le terrain de la laïcité est miné. Emmanuel Macron ne s’est pas dérobé à son mot de remerciement, même s’il a préféré jouer la carte de la sobriété, ne prenant la parole que quelques minutes. Un discours habile, sous forme de vœux à Mgr de Donatis, qui doit être créé cardinal par le pape ce jeudi 28 juin : « Mon émotion est réelle en cet instant. Je pense que la vôtre le sera plus encore lorsque, entrant ainsi dans le collège des cardinaux, vous rejoindrez ceux qui mettent leur foi au plus haut service de l’Église catholique. » Une manière de reconnaître ce que l’engagement peut devoir à la foi tout en marquant une légère distance personnelle. 



Un avant-goût du discours sur la laïcité improvisé quelques minutes plus tard devant la communauté ecclésiale française de Rome : « La laïcité n’est pas une lutte contre la religion » et… en même temps, « ce n’est pas “cachez cette religion que je ne saurais voir” ». Mais encore ? « La laïcité à la française est parfois un mystère », a poursuivi le Président, avant de conclure : « Je reviendrai. »

PASCALE TOURNIER ET MARIE-LUCILE KUBACKI, À ROME publié le 26/06/2018
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