Si vous songez à intégrer une chorale gospel, vous aurez
l’embarras du choix : en tapant ces mots dans un moteur de recherche, vous récolterez pas moins de 460 000 entrées. Comment expliquer un tel succès ? L’histoire, le type de mélodies et
d’harmonies de cette musique n’y sont pas étrangers. « Dès les années 1940, les chanteurs de gospel noirs américains, dont le Golden Gate Quartet, tournent en Europe et contribuent à populariser
cette musique auprès d’un public blanc », explique Terry François, actuelle voix basse de ce mythique ensemble vocal fondé en 1934 à Norfolk (Virginie) et animateur de stages de
chant.
Peut-être est-ce aussi l’effet du film Sister Act(1992), dans
lequel une chanteuse noire incarnée par Whoopi Goldberg décoince une chorale de soeurs catholiques blanches ! C’est désormais une comédie musicale, qui a rassemblé des centaines de milliers de
spectateurs, de Broadway au théâtre Mogador, à Paris.
Une histoire complexe
A history complex
On semble bien loin des racines d’un chant né à la fois d’une
souffrance liée à l’oppression et du désir de s’évader dans la louange de Dieu. Les gospel songs reprennent les negro spirituals chantés dans les plantations de coton du sud des États-Unis
esclavagiste, eux-mêmes inspirés des hymnes protestants plus psalmodiés que chantés : les spirituals sont des textes composés de phrases répétées, ponctuées d’interjections, de leitmotivs, avec
parfois une structure couplet/refrain, tandis que les gospels obéissent à une harmonisation souvent à quatre voix, avec un rythme plus mesuré. Certes, musicalement, le gospel tire son origine du
culte méthodiste et baptiste. Il se développe pourtant d’emblée« à côté de l’église », souligne Denis-Constant Martin, professeur à Sciences Po Bordeaux au Centre d’étude d’Afrique noire et
auteur du Gospel afro-américain, des spirituals au rap religieux (Actes Sud).
«
Le gospel n’est pas intrinsèquement lié à un édifice religieux, puisqu’il a ses racines dans les camps meetings revivalistes qui réunissaient pendant plusieurs jours, avant la guerre de
Sécession, les fidèles, Afro-Américains et Euro-Américains, en plein air ou sous des tentes, indique Denis-Constant Martin. (...) Après la guerre naissent les premières Églises noires
indépendantes, mais aussi les chorales issues d’universités destinées à éduquer les Noirs et dont les concerts ont lieu dans des salles qui n’ont rien à voir avec l’église. » Preuve qu’on a
affaire à une histoire complexe où les influences, les lieux de pratique et les façons de faire sont difficilement catégorisables.
Les paroles des spirituals et des gospel songs ont souvent un
double sens, religieux et politique : la supplique « Let my people go » (« Laisse partir mon peuple ») du célèbre « Go down Moses » évoque aussi bien le peuple d’Israël que les esclaves
enchaînés. Ce double message s’est un peu dilué sur la route du succès mondial du gospel, que le journaliste et éditeur Jean Buzelin date du tube qu’est devenu « Oh Happy Day » en 1969
:
«
On entre alors dans la pop music. Les mass choirs, ces grands choeurs associés au gospel dans l’imaginaire collectif, deviennent le genre numéro 1 dans les années 1970. »
ÉNERGIE, JOIE ET FERVEUR
Denis-Constant Martin note, quant à lui, que « les spirituals
et les gospels occupent aujourd’hui une place bien moindre au sein des mouvements de protestation menés par les Afro-Américains ». Quand il n’était pas rare d’entendre s’élever un « We Shall
Overcome » lors des marches des années 1960 pour les droits civiques, le mouvement Black Lives Matter met à l’honneur le rap, le hip-hop ou le R&B.
Terry François ne voit là aucune contradiction. « La musique
gospel porte en elle-même une énergie folle. Sa joie, la ferveur qu’elle appelle, sa façon de prendre aux tripes viennent directement de ses origines. Elle visait d’abord à assouvir une
souffrance, à apaiser un coeur, un corps et un esprit douloureux », précise-t-il. De quoi toucher bien du monde. Qui ne souhaiterait pas connaître des jours plus heureux ?’
À
LIRE
Le Gospel afro-américain, des spirituals au rap religieux, de
Denis-Constant Martin, Actes Sud